Marie Bettega a terminé sa Maitrise d’Études de conflits à l’Université Saint-Paul (Ottawa). Elle a d’abord suivi un cursus en Sciences politiques à l’Université de Lille (France), puis à l’Université de Montréal où elle s’est spécialisée en relations internationales.
Depuis Janvier 2020, la pandémie de COVID-19 marque une crise sanitaire internationale sans précédent. La propagation accélérée du virus dans un monde globalisé a nécessité des réponses inédites de la part des gouvernements. L’efficacité des actions engagées dépend du système politique des différents États. Cet article se concentre sur les États fédéraux, et plus particulièrement le Canada et l’Allemagne.
Les services de santé publique sont une compétence des gouvernements locaux, au sein des provinces et des Länder dans le cas des deux États étudiés ici. La réponse engagée en matière de lutte contre la crise sanitaire a de ce fait nécessité une coordination exceptionnelle des interventions politiques intergouvernementales (OCDE 2020 ; Chattopadhyay, Knüpling, Whittington 2021). La pandémie semble alors avoir soulevé certaines questions quant à l’efficacité des structures de gouvernances. En effet, il est intéressant de se pencher sur l’interaction entre les différents mécanismes de gouvernance et les dynamiques politiques ayant conduit à élaborer le cadre institutionnel de réponse à la situation d’urgence sanitaire, en analysant les dilemmes et les atouts du fédéralisme en matière de gestion de la santé publique.
La gestion du coronavirus en Allemagne et au Canada
Bien que la « première vague » ait été une réalité dans chaque pays du monde, elle ne s’est pas manifestée partout aux mêmes intervalles. Ainsi, le pic de celle-ci était entre mars et mai 2020 en Allemagne, et entre avril et juin 2020 au Canada.
Rétrospective : le cas de l’Allemagne
La gestion de la première vague en Allemagne s’est opérée avec succès et efficacité (Kropp, Schnabel 2021), avec des hôpitaux non-surchargés, des taux d’infection et de mortalité relativement faibles. En effet, les premières mesures sanitaires ont été introduites en mars 2020, de concert avec celles engagées dans les pays voisins : confinement avec fermeture des commerces non-essentiels, des écoles, restrictions de voyage (fermeture des frontières internationales et nationales) (Ibid). C’est lors de la deuxième vague que l’Allemagne a été plus durement touchée, entre novembre et décembre 2020. Celle-ci a contraint à un reconfinement de la population, et à un couvre-feu dans les zones de fortes infections.
L’Allemagne est une fédération de type centralisée (Kaiser, Vogel 2019), avec des compétences en matière de santé publique détenues par les Länder. Un travail de coordination entre les régions a donc été mené, sous l’égide du gouvernement fédéral. Une ligne d’action commune a été définie, malgré un calendrier et des spécificités variables (Opt. cit.). Quelques Länder ont cependant dérogé à certaines obligations du gouvernement fédéral en début de deuxième vague. Des tribunaux administratifs ayant préféré annuler certaines mesures afin de respecter le principe des droits fondamentaux de la personne. Cela a participé aux disparités connues entre les différents territoires en termes de taux d’incidence.
Rétrospective : le cas du Canada
Au Canada, le premier décès lié au coronavirus a été enregistré le le 9 mars 2020. Le 11 mars, une série de mesures sanitaires et économiques visant à endiguer la propagation du virus a été instauré, après la déclaration de l’Organisation Mondiale de la Santé qualifiant la COVID-19 de pandémie. La réponse politique s’est concentrée sur la prévention, l’identification et l’isolement des cas infectés. Ce sont les provinces et les territoires qui ont successivement initié leurs propres mesures de restrictions sanitaires, et non le gouvernement fédéral (Breton, Tabbara 2020). Au début de la pandémie, les mesures définies étaient cependant coordonnées dans l’ensemble du pays. Mais des divergences sont apparues au fil du temps au sujet des restrictions. Ainsi, certaines provinces et territoires ont fermé leurs propres frontières à l’intérieur même du Canada, imposant des conditions à la libre circulation des personnes (Desrochers 2021). Également, seul le Québec a établi un couvre-feu du 9 janvier au 27 mai 2021. Ces mesures, possibles grâce à la liberté qu’offre le système fédéral en matière de gouvernance locale, semblent par ailleurs avoir été bénéfiques dans la lutte contre la propagation du virus.
L’apparition du variant Delta au début de la “quatrième vague” marque cependant une rupture dans la coordination des actions menées par les différentes entités canadiennes. Un passeport vaccinal propre à chaque province et territoire a été établi, avec des échéances et des spécificités variables (Opt. cit.). Ce dernier créant des disparités dans les libertés des canadiens a par la suite imposé un travail d’harmonisation et d’uniformisation. Cette mesure révèle une fracture dans la gestion de la crise, ayant mis à l’épreuve le système fédéral Canadien. Le Canada mène alors une gestion décentralisée de la pandémie de COVID-19.
Le fédéralisme : quelle efficacité ?
Ces deux cas présentent une gestion différenciée de la crise sanitaire par un système fédéral. En effet, l’Allemagne a mené une coopération bilatérale entre le gouvernement fédéral et les Länder, tandis que les provinces et territoires canadiens ont été indépendants. La première phase de la pandémie, marquée par une forte incertitude, souligne malgré tout une coordination centralisée prévalant entre les différentes unités constituantes allemandes, et l’établissement de mesures similaires dans les provinces et territoires canadiens. Ce n’est que par la suite que des différences sont apparues.
Si le fédéralisme était considéré comme une qualité au début de la crise sanitaire en Allemagne, grâce à la gestion remarquable de la première vague, les difficultés engendrées par les vagues suivantes ont conduit à percevoir le système allemand comme une faiblesse dans l’organisation de défense en santé publique (Cohen 2021). La liberté des Länder en matière de restrictions locales n’a pas permis à la chancelière A. Merkel de faire « régner la discipline » (Ibid) et une cohésion nationale, conduisant à la naissance d’une culture anti-vaccin favorable aux extrêmes. La loi d’urgence sanitaire, qui prêtait suprématie à l’autorité fédérale en matière décisionnelle (adoptée au début de la pandémie), est arrivée à son terme. La coordination semble désormais difficile, mettant l’efficacité de la gestion de crise à rude épreuve dans le pays.
La gestion canadienne quant à elle ne démontre aucun changement dans les processus décisionnels. Les provinces ont agi comme des États unitaires, pour imposer des restrictions variables en fonction des données locales (Desrochers 2021). Cette approche détachée du gouvernement fédéral a permis de minimiser les conflits interprovinciaux, et de ne pas anéantir les efforts de lutte contre la pandémie (Lecours et al. 2020). Cependant, dans la mesure où le Canada reste une fédération, la comparaison entre les situations au sein des différentes provinces et territoires a conduit à la critique de la gestion de crise. Certains premiers ministres ont alors été perçus comme étant trop laxiste et d’autres trop autoritaire, perdant la confiance de leurs citoyens.
Conclusion
Ainsi, les expériences de la pandémie de COVID-19 en Allemagne et au Canada ont largement été influencées par la structure du système fédéral. Les provinces, les territoires et les Länder ont adapté leur réponse à la pandémie face à des situations particulières grâce à une autonomie fédérale pour le Canada, et par le biais d’un fédéralisme coopératif du côté Allemand (Kropp, Schnabel 2021). Ces deux approches inversées en matière de gestion de la pandémie semblent avoir participé, tant bien que mal, à endiguer la propagation des infections. Cela a permis de freiner le taux de mortalité, malgré certaines limites apparentes dans les mécanismes décisionnels et d’applications.
Références
Breton, C. & M.-D. Tabbara. (April 22, 2020). “How the provinces compare in their COVID-19 responses.” Policy Options.https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/avril2020/how-the-provinces-compare-in-their-covid-19-responses/
Chattopadhyay, R., Knüpling, F., Chebenova, D., Whittington, L., Gonzalez, P. (2021). Federalism and the Response to COVID-19: A Comparative Analysis. Publius: Forum of Federations. DOI: https://doi.org/10.4324/9781003251217
Chattopadhyay, R., Knüpling, F., Whittington, L. (2021). An introduction to COVID-19 and federalism. Federalism and the Response to COVID-19: A Comparative Analysis. Publius: Forum of Federations.
Cohen, P. (2021). La reprise de l’épidémie de Covid 19 en Europe / La coalition “feu tricolore” en Allemagne. Publius: L’Esprit public. https://podcasts.apple.com/ca/podcast/lesprit-public/id114880097?l=fr&i=1000543265561
Desrochers, E. (2021). France and Canada: Contrasting unitary vs. federal responses to the COVID-19 pandemic. Publius: Forum of Federations.
Kaiser, A. and Vogel, S., 2019. Dynamic De/Centralization in Germany, 1949–2010. Publius: The Journal of Federalism, 49 (1), 84–111.
Lecours, A., D. Béland, N. Brassard-Dion, T. Tombe, & J. Wallner. (2020). “The COVID-19 Crisis and Canadian Federalism.” Forum of Federations.
Lecours, A., Béland, D., Wallner, J. (2021). Reduced acrimony, quiet management Intergovernmental relations during the COVID-19 pandemic in Canada. Federalism and the Response to COVID-19: A Comparative Analysis. Publius: Forum of Federations.
OECD, 2020. The Territorial Impact of COVID-19: Managing the Crisis Across Levels of
Government. Paris: Organisation for Economic Cooperation and Development.
Radio-Canada. “Le Québec se déconfine : bye bye couvre-feu et bonjour terrasses.” RadioCanada. May 28, 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1796730/fin-couvre-feuquebc-rassemblements-exterieurs-terrasses-covid
Baillargeon, S. “Chute de la confiance envers la gestion de la crise”. Le Journal de Québec. 17 Septembre 2020. https://www.journaldequebec.com/2020/09/17/chute-de-la-confiance-envers-la-gestion-de-la-crise